jeudi 24 mars 2016

Le cadeau - Episode 13 - Fin de l'histoire









Nina lit et relit l'adresse sur l'enveloppe vieillie. Elle n'en croit pas ses yeux: "Julienne Astre, Le Campial, par Auriac l'Eglise, Cantal". C'est la soeur de son arrière grande tante; c'est bien elle. Celle dont elle a toujours entendu parler depuis qu'elle est née. Le modèle, l'exemple, le chemin à suivre. Aussitôt, Nina se saisit du paquet de lettre reçue par Julienne. Oui, l'expéditeur est bien Christophe Magne, 2ème compagnie, 1er bataillon, 151ème régiment d'infanterie, secteur S. Bastien lui aussi accuse le coup. Il n'a jamais été aussi proche de Christophe. Il sent qu'il touche au dénouement d'une histoire commencée il y a un siècle mais qui aujourd'hui devient presque la sienne. Il comprend maintenant qu'il s'est identifié à Christophe comme Nina a sourit à l'idée d'une continuité avec la vie de Julienne. Bastien prend les lettres du soldat, défait le fil qui les retenait prisonnières, les feuillette et se saisit de la dernière. Elle est datée du 16 décembre 1918: 

« Julienne,
Ma souffrance est énorme. Je suis arrivé ce matin devant ta maison; une adresse que je me suis répétée des centaines de fois pendant mon calvaire. J'étais heureux. Un voile noir était en place sur la porte. J'ai pensé à un de tes vieux parents. Non, c'est de  toi dont il s'est agit. Toi, la femme forte, toi qui m'a soutenu à la force de ta volonté alors que j'étais au front; toi, que j'imaginais à l'abri de la mort; tu pars avant moi. Cette mort que j'ai tellement côtoyée mais qu'une force a toujours su éloigner de moi. Des milliers de balles et d'obus m'ont épargné; la grippe que l'on dit Espagnole t'a emportée. J'avais imaginé le plus beau des avenirs pour nous deux. J'avais imaginé, moi le solitaire, toute ma vie à tes côtés. J'avais imaginé tenir ta main et ne jamais la lâcher. Le sort n'en a pas voulu. Mon rêve, notre rêve était il trop beau ? La vieille ferme n'abritera pas notre amour. Nous ne goûterons pas les saisons ensemble. Je ne sais pas ce que je vais devenir mais j'ai l'impression désormais de revenir à la case départ. Tu vois, je te parle et machinalement, je porte la main à ma poche. Il est là, il est toujours là, le cadeau que tu m'avais envoyé avec ton premier écrit. Il ne me quittera jamais. Il sera le lien éternel entre nous... » 

Bastien s'assoit; Nina s'assoit à ses côtés. Ils éprouvent le besoin de se resserrer. De réchauffer leurs coeurs attristés. Ils ont une histoire à continuer; des sentiments à partager. Cet amour que Julienne et Christophe n'ont pu qu'effleurer, ils vont eux le prendre à pleine main; chaque minute, chaque heure, chaque jour de leur vie. Et au fond de leur regard, il y aura toujours d'autres yeux: ceux de Julienne et Christophe qui n'auront pas vécu le bonheur après l'avoir entrevu. 

Bastien se ressaisit. Se lève. Il va chercher la cassette qui se trouve au fond du coffre. 


Elle est là. Refermée il y a longtemps et jamais ouverte. Il revient vers Nina. Les quatre mains sont à l'oeuvre. La cassette s'ouvre. Apparait alors le fameux cadeau: un bonnet de laine, bleu, blanc rouge, tricoté avec toute l'affection d'une marraine de guerre pour son filleul au front. Ils n'osent pas le toucher. Les quatre mains délaissent la cassette, se cherchent et se trouvent aussitôt. C'est donc ce bonnet que Christophe n'aura jamais quitté. Hiver comme été. Il est là. Sans trop avoir souffert de la guerre et du temps. Un bonnet comme un preuve: le temps n'efface rien si l'on veut tout garder. Nina et Bastien veulent tout garder. 

mercredi 16 mars 2016

Le cadeau - Episode 12










Nina arrive devant l’Afferage. Une impression de déjà vu. Peut-être l’adresse qui lui parle. Mais toutes ces vieilles fermes auvergnates se ressemblent : la partie habitable à trois fenêtres sur deux étages et la partie étable sur la droite avec au dessus la grange. Le tout recouvert d’une belle lauze. Devant, le vieux four à pain qui sert désormais une fois par an pour la Sainte Madeleine et juste derrière, le poulailler. A tout moment de la journée, la café, « le petit jus », est prêt pour la famille ou l’ami de passage. Nina connait ce type de maison. Elle est en terrain de confiance. Bastien lui a dit : « La grande bâtisse, c’est celle de mes parents. Ma maison, c’est la petite, celle de mon arrière grand-oncle Lucien. Tu verras, ma 4L est garée devant. Au plus près de la porte. Tu peux te garer à côté. » Nina a pris soin d’elle. Coquette, très coquette ce jour là. Elle sent qu’aujourd’hui sera une journée savoureuse. Et pas seulement parce qu’elle voit bien qu’entre Bastien et elle, le feu prendra à la moindre étincelle. Non, elle devine autre chose. « Autre chose », c’ est souvent indéfinissable. Il faut se méfier parfois des ressentis. Mais Nina est sûre d’elle, de ce qu’elle pense, de ce qu’elle dit, de ses émotions, de ses sentiments.

Elle a apporté avec elle ses propres archives et surtout les lettres du « Poilu » adressées à son arrière grande tante Julienne.

Elle tape à la porte. Au signal de Bastien, elle la pousse et  franchit le porche en baissant la tête. Le linteau de granit lui impose sa puissance. Il l’impressionne comme il a toujours impressionné les visiteurs . Bastien est là ; impressionnant lui aussi. Mais il n’est pas vraiment le même que dans le cadre de l’association de généalogie. Non, il est ici dans son Royaume et le trésor, son trésor, n’est pas loin. Il accueille néanmoins Nina avec un énorme plaisir.  « Voilà donc cette antre, se dit-elle ; l’antre de ce garçon qui m’attire. » Elle n’est pas déçue : tout est conforme à ce que lui a dit Bastien ; des vieux livres aux tableaux, des chapeaux aux photographies. Une antre de célibataire jusqu’à la proposition d’un jus de fruit, ouvert depuis combien de temps ? Mais tous les deux n’ont que faire de ces banalités.

Nina regarde Bastien et Bastien regarde Nina.

Doucement ; tendrement ; comme on effeuille une fleur.

Bastien lui prend la main. « Tiens se dit-elle, il ne m’avait pas habituée à être si directif ! » Bastien écoute simplement son cœur. il lance un simple :« Viens ! Viens voir le coffre.»

«  Le vieux Lucien m’a passé le flambeau de la garde de ses souvenirs en me disant que le jour viendra où je devrai les partager avec une âme sœur. Ce moment est venu . Dans ce coffre, tu as toute ma richesse et en particulier les vieilles lettres que ce Christophe que je n’ai pas connu a reçues pendant la Grande Guerre. Bastien lui tend le paquet bien ficelé. Sans s’intéresser à l’enveloppe, elle lit aussitôt. La dernière lettre que Christophe a reçue. L’enveloppe alors lui échappe et tombe du côté de l’adresse de l’expéditeur.


lundi 7 mars 2016

Le cadeau - Episode 11




Leurs yeux se sont croisés. D’abord leurs doigts se sont effleurés en cherchant à saisir la même archive. Deux cœurs timides qui se frôlent et c’est un flot de rougeur qui envahit les visages. Deux cœurs timides qui s’allument et ce sont deux âmes qui vont, qui viennent, s’éloignent et se rapprochent sans cesse. Tout va très vite. Deux cœurs timides qui se parlent et le temps n’existe plus. Julie est là pour en témoigner : jamais elle n’a vu Nina dans cet état. Et elle pourrait presque gager que Bastien est dans le même cas ; à observer les mouvements de son corps, mains et bras maladroits, elle se dit qu’il est en train de se passer quelque chose. Bien plus tard, Julie confiera à son carnet intime : « Je les écoutai et alors je compris qu’il était question d’éternité.» 

Au petit jeu de la séduction, Nina est la plus engageante. « Tu recherches quelqu’un de tes proches ? » lui dit elle d’un ton à peine retenu. « Oui, répond Bastien, un lointain ancêtre ! Et toi ? »  « Moi aussi, ou plutôt, je recherche une image, un mythe : celui d’une arrière grande tante, que je n’ai pas connue mais de laquelle je me sens de plus en plus proche depuis quelque temps.» « Moi c’est un arrière grand oncle ; je ne l’ai également pas connu mais il est avec moi depuis de nombreuses années. Il a vécu la Grande Guerre, a combattu , a souffert, a été fait prisonnier, puis libéré et finalement est revenu au pays sans autre blessure qu’un poids énorme sur sa vie. Tout m’a été raconté par son frère, mon arrière grand père maternel. A son retour de l’enfer, suite à une immense déception, et probablement aussi pour trouver le repos, il est rentré dans les ordres et a fini sa vie dans une abbaye. Il était plutôt d’un naturel renfermé. Je me sens bien quand je lis et je relis les lettres qu’il a reçues de la part d’une amie ; je devrais même dire sa fiancée car les termes des derniers écrits sont tous sauf équivoques. Ces courriers réguliers ont été pour lui d’une grande aide. Un réconfort, un soutien, une raison de vivre. »

Nina s’exprima à son tour : « C’est mon arrière grand-mère qui m’a raconté l’histoire de sa sœur. Une forte fille, jeune et belle. Attentionnée, ouverte aux autres et qui a beaucoup souffert « par procuration » pendant la Grande Guerre. Déjà, enfant, elle aidait tous ses voisins. Elle adorait faire plaisir.  Mon aïeule me disait qu’elle faisait le bois, gardait les chèvres et les vaches des voisins. Elle s’occupait du vieux chien du berger communal, pour lequel elle avait fabriqué un support à roulette car le pauvre animal était complètement paralysé de l’arrière train. Que de bonté dans une même personne ! Et pendant ce premier conflit mondial, elle a même été marraine de guerre. J’ai chez moi toute une collection de lettres d’un soldat au front qui répondait aux siennes. Touchantes et tristes. Une jeunesse sacrifiée.

A plusieurs reprises, les deux jeunes généalogistes se sont retrouvés au sein de l’association. Ils étaient en communion. Au début, ils faisaient semblant de choisir les mêmes dates pour y venir travailler. Mais très rapidement, ils ont laissé tomber ce subterfuge qui ne dupait personne ; Bastien téléphonait à Nina et passait la chercher en empruntant ensuite, pour se rendre au Babory, la belle route parfumée par les vieux pins sylvestres de la montée de la Jasse.


Et un beau jour, Bastien a franchi le pas et a convié la jolie Nina chez lui. Pour lui montrer tous ses trésors.

dimanche 28 février 2016

Le cadeau - Episode 10









Nina est belle. Toute petite, elle gardait souvent ses vaches dans les communaux du côté du « Bas ». Et déjà, tous les bergers du pays se débrouillaient pour venir lui compter fleurette. D’une pâture à l’autre, le hasard fait si bien les choses. Sans parler des petits vacanciers qui l’accompagnaient les après-midi de juillet pour de longues heures de parties de cartes endiablées, de rires et de rêveries. Un bâton, une radio, deux chiens : la reine de la montagne. Nina est belle mais les garçons ne semblent pas l’intéresser. Elle les tolère tant qu’ils ne sont pas trop envahissants. Et les repousse vertement quand ils sont trop entreprenants. Toujours avec le sourire. Elle a eu 21 ans le 7 janvier. Sa mère l’incite à sortir, à rencontrer du monde. Ses amis viennent la chercher pour aller danser du côté d’Anzat le Luguet. Mais très peu pour elle. Elle préfère nettement la compagnie des animaux. Ces deux chiens surtout qu’elle adore : Titou et Capitaine. Par ailleurs, elle a toujours crû au Prince charmant et se dit que de toutes façons, il viendra bien un jour, sans qu’elle ait besoin d’aller le chercher dans une grande salle sombre où on ne s’entend même pas parler. En fait, les Princes charmant se pointent toujours dans une forêt, au bon moment, à la bonne heure ; en sauveur, en bienfaiteur, en séducteur. Bref, pas de quoi se presser. Elle a un vieux bâton qui ne la quitte jamais. Il lui sert parfois pour sermonner le gros taureau Charolais, blanc et musclé, quand ce dernier court un peu trop après les vaches, et que ce n’est pas le moment, voire après les génisses, un peu trop jeunettes. Ce bâton est un bien familial. Qui se transmet uniquement par les filles d’une même famille. Un pied de nez à la loi salique. Nina le tient de sa mère Valérie, qui le tenait de sa propre mère Henriette. Laquelle l’avait reçu en « héritage » de la vielle Marie, morte le 10 mai 1981. Marie l’avait longtemps gardé pour elle avant de le confier à sa fille. Ce bâton était pour elle un symbole, un témoin, comme ceux que les athlètes se font passer dans les courses en relais. Le témoin de sa grande sœur Julienne. Julienne la forte, Julienne l’indéracinable.

Nina lui ressemble. Marie, à la naissance de Nina, avait d’ailleurs noté cette ressemblance frappante entre sa sœur et son arrière petite-fille. Et Nina jeune fillette était toujours le portrait « craché » de son ancêtre : Jolie et intenable, souriante et bagarreuse, charmeuse et indisciplinée.

Le jour où Valérie avait passé le relais à Nina, cette dernière s’en souvient encore : une sorte de cérémonie initiatique digne de la franc-maçonnerie. Les deux femmes s’étaient isolées, loin des yeux du père. Elles  avaient pris le vieux chemin de la Fagette et s’étaient retrouvées devant la belle chapelle Romane de l’adret de Rey. Nina avait accepté le bâton et avait promis non seulement de le maintenir en bon état mais bien sûr de le confier à sa future fille, voire à une nièce, si au moment décidé, aucun enfant de sexe féminin n’était venu enchanter sa vie.

Depuis, Nina vivait avec le bâton. Le soir, elle le posait délicatement au pied de son lit. Et le matin, elle le retrouvait. Pour la vie à la ferme de tous les jours.

Elle avait tout de suite saisi  sa présence bénéfique. Une force s’était glissée à l’intérieur de son corps. Et cette force lui donnait des certitudes. Comme si tout était écrit. « Mektoub », s’écrient les vieux arabes, assis à l’ombre des acacias. C’est le destin, s’écrit toujours Nina pour mieux affronter les aléas de la vie.


Elle avait accepté il y a peu la proposition de son amie Julie : l’accompagner à l’association des Généalogistes Auvergnats du Babory de Blesle. Julie voulait faire son arbre généalogique. Une idée à la mode. Et Nina n’était pas contre le fait de remonter le temps, sur les pas des ancêtres. Et pourquoi pas, retrouver  la trace de Julienne qu’elle connaissait de très loin, comme la personne qui avait, à un moment donné de sa vie, créé un lien par delà le temps. Mais pourquoi ce lien ?

jeudi 18 février 2016

Le cadeau - Episode 9






L’association des Généalogistes Auvergnats est très bien située, au Babory de Blesle, sur la route de Saint-Flour à Clermont. Une vieille bâtisse sombre, classique. Sur les bords de l’Allagnon. Bastien y a adhéré il y a peu. Il a pris sa décision un jour où, comme bien souvent, il est resté à rêvasser des heures durant en lisant et relisant de jolies lettres, héritage, futile pour certains, de son arrière grand-oncle. Héritage futile, sauf pour lui. Toutes ces lettres, légèrement noircies, mais encore bien agréables pour une lecture apaisée. Bastien adore ces moments de solitude : un CD de Bach par-dessus et le plaisir démarre. Pour des heures.

Bastien est devant la vieille porte en hêtre. Au dessus, une patte de sanglier comme pour conjurer le sort. Il va rentrer pour la troisième fois dans ce lieu, rencontrer des gens qui comme lui recherchent ; qui un passé, qui un parent, qui une histoire.
Il a l’impression que son ancêtre Lucien l’accompagne. Il le ressent toujours à ses côtés comme un guide impérieux.
Il adore cette ambiance. Du calme, de l’éducation, de l’empathie. Tout ce qu’il recherche ; pas de cris ni de braillards ; et personne qui ne vient l’offenser. Une atmosphère studieuse propice à la méditation et à la recherche.

La première fois, il est tombé sur tout un travail en rapport avec les vieilles familles du pays. Il s’est trouvé ainsi des tas de cousins qu’il ne soupçonnait même pas. Les familles Peyre, Magne, Bec…Avec les Peyre par son père, avec les Magne et les Bec par sa mère.

Il ne manque plus que le facteur, a t-il pensé amusé.

La seconde fois, il a tenu sous ses yeux la liste des jeunes de son canton mobilisés entre 1914 et 1918. Quelle tristesse de lire tous ces noms ! la plupart  n’est pas revenue du front, où alors handicapée à jamais. Il aime tous ces détails de vie. Sans curiosité malsaine mais cela lui permet de comprendre la vie de l’époque, les métiers, et de se rapprocher d’un moment de temps, tout simplement.

Mais que recherche t-il exactement ? Lucien ? Non, il l’a connu et même bien connu ? Quelqu’un d’autre ; celui qui est sur toutes les lettres de son coffre ? Ce Christophe : un héros de 14 ! Un poilu. Un vieux de la vieille ! Le frère de Lucien dont ce dernier lui a tant vanté les qualités ; un frère vénéré, qui a terminé sa vie comme Abbé de la vieille abbaye de Fontfroide. Un saint. Il veut tenir en main son acte de naissance, ceux de ses ancêtres, qui sont aussi les siens. Christophe, l’homme qui parlait aux arbres. Et qui les adorait. Bizarre pour un chrétien cette divination de la nature.
Il veut le connaître, marcher dans ses traces. Comprendre son chemin.

Mais il veut aussi continuer à venir dans cette association car son cœur pour la première fois s’est emballé pour une jolie brune, élancée, joyeuse et passionnée comme lui passionnée par le passé de ses aïeux.


Ses yeux ont croisé les siens ; et ses yeux et les siens se sont alors légèrement baissés, pour se relever ensuite. Et pour se fixer intensément.

samedi 13 février 2016

Le cadeau - Episode 8










La 4L sans âge accroche le raidillon bétonné qui conduit à l’Afferage. Bleue, comme dans un rêve. Mais le bas de caisse noir de bouses de vaches. Il fait beau ce vendredi douze juillet 2015. Il est presque quatorze heures. C’est le zénith. Le soleil cogne ; L’air est léger. Le temps attentionné, heureux de rendre heureux les hommes. Il est ainsi le temps : parfois dur et impitoyable, parfois tendre et apaisé. C’est dans la vieille ferme qui se dresse devant lui que Bastien est né il y a de cela vingt huit années. C’est dans cette vieille ferme que Bastien a goûté les belles années de son enfance. Des parents aimants et surtout un arrière grand-oncle maternel, Lucien, qui lui a donné plus que son affection : un goût prononcé pour l’Histoire, la grande, la petite, la belle, et aussi celle parfois que l’on ne voudrait jamais connaitre.  Lucien est mort en 2005. Il était né en 1910. Une mémoire vivante. Une encyclopédie. Le seul à pouvoir citer tous les titres des œuvres de Balzac, de Flaubert, de Stendhal et de Victor Hugo. Le seul à pouvoir parler de la Terreur Blanche et de la journée des Dupes comme s’il avait vraiment vécu ces périodes. Un frère de l’arrière grand-mère de sa maman, Louise.

Bastien ne déroge jamais à la règle : en rentrant de son travail, il travaille le matin chez le fleuriste « A la Belle Tige », rue Pourrat à Massiac, il arrive, se gare n’importe où, souvent sous le tilleul, puis rentre dans la maison, embrasse son père, sa mère et sa jeune sœur, et se retire dans son antre : le vieil appartement de Lucien, que Bastien a voulu au maximum préserver de la peinture ou du marteau, pour que son ancêtre continue d’être proche de lui.

Un royaume particulier. Des tableaux sur tous les murs ; des photographies ; de vieilles cartes, du Cantal, de l’Est de la France. Un portrait de Saint François d’Assise. Un drapeau, Français. Des chapeaux, casquettes, bérets ; une myriade de livres, aux pages jaunies : ce sont les plus beaux a-t-il coutume de dire ; ils ont une vie, une odeur, une sensualité. Bastien les sent toujours avant d’en dévorer les pages. Et des cahiers, des cahiers d’école, remplis de notes et de coupures de journaux ou de revues. Très peu de meubles et un confort sommaire.

Une pile de « Chasseurs Français. » dont certains encore empaquetés sur le meuble en merisier à l’entrée.

Un royaume où Bastien aime à vivre. Il ne reçoit que très peu d’amis. Ni d’amies. Persuadé qu’il est d’être dans une sorte de Conte. Et dans les Contes, tout est prévu, tout est écrit, tout est réglé, à l’avance. Aucune place à la surprise ; il est serein. Tout lui viendra à point ; il sait attendre.

Un royaume où il peut s’adonner à sa nouvelle passion : la généalogie. Car le vieux Lucien ne lui a pas seulement donné le virus du passé ; il lui a laissé un vieux coffre . Le coffre que tout enfant a rêvé d’avoir. Un coffre rempli de choses plus ou moins importantes. Et des lettres, des listes de noms. Mais surtout, bien enfouie, une vieille cassette, précieuse. Bastien ne l’a jamais ouverte. Il attend ; peut-être aujourd’hui, peut-être demain, peut-être jamais.

Mais quelque chose en lui le pousse, le pousse. Il ressent, mais c’est plus que bizarre, qu’il ne s’est pas mis à la généalogie par hasard. Cela fait plusieurs nuits qu’il rêve de Lucien et ce dernier semble vouloir communiquer.


La vieille cassette aurait-elle un secret ?

mardi 9 février 2016

Le cadeau - Episode 7








12 novembre : « Julienne, Julienne !!! Il ne s’est pas arrêté de sonner. Toute la nuit sur toute la ligne. Et de loin en loin. Chaque troupe. Personne n’a dormi, tu parles !!! Et personne n’y croit. Pourtant, quand on voit tous ces sourires, on  ne peut que se dire que c’est bien vrai, que chacun va rentrer chez lui, que chacun va retrouver ses amours, sa famille, ses amis ; que je vais te trouver, toi Julienne que je n’ai jamais vue. Mais que j’aime. Ce sont tes lettres qui m’ont permis de tenir ; ce sont tes phrases qui m’ont séduit ; ce sont tes mots qui m’ont charmé. Tes écrits ont rythmé ma vie.
Je pense que nous allons encore rester quelques jours ici puis probablement, nous allons nous regrouper vers Nancy puis Paris où je saluerai alors tout le monde. Je serai au pays avant la fin de l’année et nous passerons notre premier Noel ensemble. Rassure toi, je vais bien et tu me trouveras entier. Mon esprit à souffert mais mon cœur est déterminé à oublier, avec toi. Je ramène mon trésor : mes lettres et mon petit ami, dans ma poche. Ton cadeau. Tu riras quand tu le reverras… »

Le 2 décembre : « Christophe, que je suis heureuse ! Oui tout est enfin terminé ; quel drame ! Pas une famille qui ne pleure un parent. Ici au village, le Maire a placardé la liste des morts sur la porte de la maison commune. Dix morts rien que pour notre canton. Il faudrait à tous leur élever une statue, ils Le mériteraient bien ! Je languis de te voir, de te découvrir, d’apprendre à t’aimer ; je pense à toute notre future vie. Tout s’enchaîne, tout s’accélère ; suis-je folle de m’emballer ainsi ? Et pourquoi t’ai-je choisi ? Crois-tu au hasard ? Je t’écris comme je pense : très vitre, trop vite. Ma mère ne me comprend pas, mon père ne saisit plus grand-chose. Il sourit. Seul ma fidèle chienne m’accompagne et montre autant d’enthousiasme que moi. Elle s’appelle Laurette et je suis sûre qu’elle aussi va t’aimer. J’ ai commencé à réfléchir à une maison. Je crois que tu  m’avais parlé dans une de tes lettres de la ferme de ton grand –père Victor. Tu m’emmèneras dans ton village et tu me la montreras. Mais je sens que tu as du goût. Je suis sûre qu’elle me plaira. Des drapeaux fleurissent aux fenêtres. Mon ami Michel, le fils du facteur, à même sorti un vieux portrait de Napoléon et l’a accroché à une de ses fenêtres. Les gens sont comme fous. Je suis sortie ce matin. Il a déjà neigé. Le paysage est merveilleux mais il fait froid. je crois bien que je me suis enrhumée. Je me méfie. Je suis vite rentrée. On dit que la grippe est mauvaise cette année. »


Le 14 décembre : « Julienne, j’arrive ; j’arriverai peut-être avant cette lettre. Mais c’est ma dernière et je voulais qu’elle ait un goût particulier. Je suis parti de la maison il y a maintenant quatre ans. J’étais assez triste de quitter ceux que j’aimais. Je suis un solitaire. Un sanglier de nos forêts. J’ai toujours pensé que je vivrai seul et que je finirai seul, dans une cabane au milieu des bois. Mais la guerre est arrivée, et tu es arrivée. Par tes lettres. Au début doucement puis petit à petit tu es rentrée dans ma vie. Une vie de bagne, presque une torture. Toi toujours enjouée et moi souvent accablé. Mais tu t’es accrochée, à mon histoire et à mon être. Aujourd’hui, je goûte pleinement à ce que tu m’as apporté. Ou plutôt, dans quelques jours, je pourrai enfin l’affirmer. Dans mon malheur, j’ai trouvé le bonheur. En regardant tes mots, je voyais, tes mains ; en regardant tes mains j’imaginais tes bras ; en imaginant tes bras, j’étais sur ton visage. Et sur ton visage il y avait tes yeux, étincelants. J’ai hâte de les découvrir vraiment. Plus que quelques heures. Merci. »